Lovin’ You — Minnie Riperton
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Lovin’ You — par Minnie Riperton
Moments incroyables du timbre | Écrit sur le timbre et l'orchestration
Version anglaise (originale), publié 10 mars 2022 | Version française, publiée le 11 avril 2024
Plusieurs orthophonistes et pédagogues de la voix ont classé quatre registres vocaux distincts en fonction des différents modèles vibratoires produits par les cordes vocales. Ces quatre catégories - le fry vocal, le registre modal, le registre médian, le registre de tête, le falsetto et le registre du sifflet - n'ont pas simplement des gammes de hauteurs différentes comme l'indique le terme « registres vocaux » ; elles ont aussi des timbres uniques (Kiesgen, 2006).
En ce qui concerne l'utilisation du registre sifflé, si certains airs d'opéra exigent des chanteuses qu'ils produisent des hauteurs extrêmement élevées - imaginez l'air de la Reine de la nuit dans La flûte enchantée de Mozart - il y a très peu d'œuvres d'opéra dans le répertoire standard qui nécessitent le registre sifflé. Dans le domaine de la musique populaire, peu de chanteuses chantent systématiquement dans le registre du sifflet. Plusieurs chanteuses se distinguent toutefois par leur utilisation de ce registre caractéristique. Mariah Carey, par exemple, utilise régulièrement le registre du sifflet dans ses chansons. À Noël 2020, elle a publié un remix de « Oh Santa » avec Jennifer Hudson et Ariana Grande, où Carey s'harmonise avec Grande en utilisant cette technique vocale. Minnie Riperton (1947-1979) est la première chanteuse populaire à s'être fait connaître commercialement pour ses prouesses dans le registre du sifflet. Je me concentrerai ici sur la chanson « Lovin' You » de Riperton, et plus particulièrement sur son interprétation dans « The Midnight Special Live » de Burt Sugarman, enregistré en 1975.
La version concert en 1975 de « Lovin' You » par Minnie Riperton se distingue de son album de 1974, Perfect Angel, non seulement par sa longueur, mais aussi par l'ad-lib de Riperton dans le registre du sifflet au milieu d'un chant dans le registre modal. Dans cette interprétation de quatre minutes, Riperton a chanté quatre fois dans son registre sifflé caractéristique : une fois pendant le couplet (0:50-52) et trois fois pendant le pont. Son choix d'utiliser le registre du sifflet pour les mots « more than » (plus que) a renforcé l'émotion du personnage poétique grâce à la hauteur de la voix et à une qualité sonore inhumaine et éthérée. Cet exemple montre comment Riperton dépasse les limites du corps humain par la hauteur et le timbre, ce qui reflète l'extase romantique du texte (« Lovin' you is more than just a dream come true »).
Si le recours de Riperton au registre du sifflet peut sembler très naturel en raison de la facilité avec laquelle elle passe du registre modal au registre du sifflet, le timbre de ce dernier peut être qualifié d'éthéré. Il semble y avoir un précédent sur la façon dont certaines hauteurs - et leurs timbres respectifs lorsqu'elles sont chantées - sont utilisées pour créer des effets spécifiques dans une composition (comme le La6, que Riperton a chanté au dernier moment de la représentation) et ont une qualité qui ne ressemble pas à celle d'un être humain.
Jacques Offenbach (1819-1880), par exemple, a utilisé des acrobaties vocales ainsi qu'un registre vocal extrême dans son opéra Les Contes d'Hoffman (1880), exigeant de la chanteuse qu'elle atteigne Mib6, et dans lequel un Sol6 et un Lab6 sont parfois intercalés dans la reprise, pour l'aria d'Olympia, « Les oiseaux dans la charmille ». Dans cet air, Olympia est un automate, une machine, et cette caractéristique doit être entendue à travers l'interprétation de la soprano et les timbres des tessitures aiguës qui en résultent. La prouesse de chanter si haut est une anomalie, une aberration.
Le timbre clair et pur de Riperton dans ces moments de « Lovin' You » est également un facteur important de cette qualité éthérée. Alors que son registre modal est chuchoté et aéré (une qualité liée aux « conversations sur l'oreiller »), le son « more than » élimine toute respiration inharmonique. Qu'est-ce qui rend le timbre de Riperton si éthéré ? Tout d'abord, elle énonce clairement ses paroles dans le registre du sifflet. Si Carey et Grande (et Christina Aguilera) utilisent aisément le registre du sifflet, elles le font toujours avec des voyelles (vocables) et non au milieu d'un couplet. Deuxièmement, Riperton passe du registre modal au registre sifflé en une fraction de seconde. Troisièmement, les timbres de sa voix, semblables à des sinus, sont très purs (pas bruyants). Enfin, elle n'utilise pas beaucoup de vibrato dans ce passage aigu, ce qui met en évidence sa capacité à maintenir ces hauteurs avec un fort contrôle du souffle ; cette absence de vibrato induit une sensation de désincarnation chez l'auditeur. Ces qualités performatives et perceptives du timbre vocal dans le registre du sifflet distinguent Riperton des autres chanteuses utilisant la même technique et le même registre.